Eduardo Ruiz Vergara : « Danser va de pair avec l'esprit et notre esprit est toujours en évolution. Nous grandissons et notre danse grandit aussi. »
23 novembre 2021
À l'automne 2021, Eduardo Ruiz Vergara, artiste interdisciplinaire et ancien professeur permanent de L'EDQ, était de retour à Québec pour offrir des classes techniques à nos étudiantes de 3e année de la Formation supérieure et aux élèves du Danse-Études 3.
Dans cette entrevue, il nous raconte sa passion pour la danse, son parcours professionnel et comment il a vécu son retour à l'École comme professeur invité.
- Y a-t-il une phrase qu’un(e) enseignant(e) ou un(e) chorégraphe vous a dite qui vous a marqué ? Si oui, comment est-ce que cela a eu un impact sur vous ?
Oui, « para atrás ni para coger impulso » (traduction presque littérale : « On ne recule pas, même pour prendre de l’impulsion. »). Je ne me souviens pas à quel moment je l’ai entendue ni qui me l’a dite pour la première fois, mais aujourd’hui, elle continue de faire partie de ma conscience et me permet de rester actif dans les activités qui relient les arts vivants. - Comment avez-vous su que vous souhaitiez faire carrière en danse?
C’est une histoire qui commence à mon jeune âge grâce à Martha Garcia, qui était ma maîtresse de danse. C’est elle qui m’a invité la première fois à suivre un cours de danse : elle m’a soutenu les premières années de ma formation, m’a permis de prendre davantage connaissance de mon corps dansant et de me faire confiance pour créer mon premier solo. C’est grâce à son accompagnement que ce solo a été présenté lors d’un festival national en Colombie, où j'étais le plus jeune danseur. Après cette expérience, ma vision de la danse a changé et je l’ai intégrée dans mes activités quotidiennes.
Aujourd’hui, je pense que cet événement et tout ce qui s’est passé autour de cette activité m’ont permis d’imaginer un chemin possible pour moi avec la danse, même si j'ai rencontré des difficultés assez importantes au niveau culturel et familial en cours de route. Ainsi, quelques années plus tard, j’ai entamé ma formation professionnelle. Donc, c’est la confiance que Martha Garcia m’avait accordée qui a propulsé ma décision initiale et qui a fait en sorte qu'une carrière s’est développée pour moi dans l’écosystème artistique et académique de la danse. - Quelle est votre plus grande fierté par rapport à votre parcours en danse?
Depuis que j’ai commencé à danser et à travailler dans le milieu de la danse, je n’ai jamais remis en question ma relation avec le mouvement à travers les arts vivants. Même dans les moments les plus contrastés de mon existence, le travail avec le mouvement m’a toujours donné une sensation de bonheur et de liberté, m’amenant dans des chemins parallèles qui m’ont fait grandir tant comme être humain que comme artiste.
Aujourd’hui, grâce à la constance et à la persistance dans ce domaine, j’ai une expérience et une qualité que je cherche à transmettre dans mes classes, dans mes actions et à travers les œuvres auxquelles je participe. L’une de mes plus grandes fiertés est de pouvoir guider, accompagner et impulser des personnes, tant au Québec qu’en Colombie, sur le chemin des arts vivants, et de réaliser qu’après des années, ces personnes ont fait un parcours remarquable dans le milieu et dans leur propre vie.
Depuis longtemps, je vois l’interprète comme créateur et acteur d’émotions. Il est un « transformateur » : il filtre le monde du chorégraphe à travers son monde intérieur, avec des outils qui lui sont propres. Il permet la rencontre et l’interaction des corps. Dans cette idée, le niveau d’adaptation et la capacité de réagir avec son corps – dans une classe technique ou dans une création - s’amplifient en fonction des demandes spécifiques. Les corps se confrontent en donnant « vie » au mouvement… puis la « danse » apparaît.
À mon avis, un interprète qui se nourrit constamment des expériences de vie fait en sorte que son art est en constante évolution… et échappe aux formes parfois rigides que la « danse » propose. Danser va de pair avec l'esprit et notre esprit est toujours en évolution. Nous grandissons et notre danse grandit aussi.
C’est quelque chose qui me ravit complètement et me réjouit toujours. D’avoir accompagné des êtres humains et de les avoir aidés à développer leur chemin en danse, autant comme une voie de connaissance personnelle que comme une expression professionnelle, me rendent fier de moi-même et du travail accompli au fil des années. - Lorsque vous enseignez aux futurs professionnels de la danse, qu’est-ce que vous souhaitez leur transmettre en premier?
Je souhaite surtout leur transmettre une conscience de ce que signifie avoir un corps préparé pour et disposé au mouvement. De même, j’aimerais leur transmettre quelques outils corporels que j’utilise et qui pourront les aider à s’investir dans un mouvement plus personnel.
En effet, transmettre une conscience critique leur permet d’évaluer leurs propres capacités physiques et d’interprète en les revisitant, en les décortiquant et en les « ré-élaborant » constamment, afin de créer une diversité de modes d’expression. Ce qui, à long terme, construit de meilleurs êtres humains avec une capacité d’écoute corporelle pour bouger d’une manière plus organique et sincère. En fin de compte, je souhaite leur transmettre le plaisir pour le mouvement et le bien-être corporel. - Il y a quelques années, vous enseigniez à L’École de danse de Québec comme professeur permanent. Puis, en septembre 2021, vous y êtes retourné comme artiste invité pour l’espace de deux semaines. Comment avez-vous trouvé votre retour à Québec et à l’École?
D’abord, c’était excitant et nourrissant. Pour moi, c’est une sensation de retourner à la maison. Il y a une connexion assez spéciale qui me permet de rencontrer mes défis personnels pour donner des classes, mais aussi, je me permets d’approfondir certains outils pour le mouvement, grâce à la réponse et à la disposition des étudiant(e)s.
Cette année, j’ai redécouvert les valeurs que l’École promeut, particulièrement par le fait d’offrir une voix critique aux étudiant(e)s face aux enseignements et apprentissages. Cet espace nourrit la rencontre et aide à l’évolution professionnelle des danseurs. Je pense que cette sorte d’opportunité et d’ouverture de la part d’une institution permet aux étudiant(e)s de découvrir un ressenti corporel qui leur est propre et contribue à ce qu’ils ou elles poursuivent une carrière dans les arts vivants avec une couleur personnelle.
Depuis ma première expérience comme professeur permanent à L’EDQ, je reconnais l’immense travail que les personnes qui y travaillent font pour doter chacun des élèves et étudiant(e)s d’instruments fondamentaux, tant dans la formation technique, qu’intellectuelle et critique. L’EDQ est un espace dynamique qui nous permet d’avoir des intensités variées et de nous remplir de surprises, tout en faisant grandir notre pratique professionnelle.
Je vous avoue que je suis plus que content de revenir à l’École comme professeur invité. La rencontre avec les nouveaux groupes s’est très bien passée et nous avons tous plongé dans les exigences propres d’un travail sur la compréhension corporelle personnelle.
- Quels sont vos prochains projets?
Ce sera une « lecture dansée ». Une lecture performative à voix haute et en direct du texte intégral du roman L'étranger d'Albert Camus. Dans cette nouvelle création, je poursuis ma recherche sur la performance de longue durée. Je souhaite construire une alliance constante entre le matériau littéraire, la manipulation d’objets, et les multiples textures sonores, corporelles et technologiques. Ce projet rassemble plusieurs de mes questions sur l'interdisciplinarité et met en évidence les obsessions créatives qui m’accompagnent depuis quelques années.
L’École de danse de Québec tient à remercier chaleureusement Eduardo Ruiz Vergara pour le partage de ces quelques pensées avec le public!
L’EDQ reçoit chaque année plusieurs artistes, chorégraphes et professeurs invités afin d’initier les étudiants-danseurs à divers processus créatifs.
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Eduardo Ruiz Vergara, fondateur, chorégraphe et co-directeur de la compagnie Estantres Danza de Bogota, récipiendaire de nombreuses bourses et reconnaissances.
Ses œuvres ont été présenté en l’Amérique Latine, Europe et au Canada. Eduardo signe une vingtaine de créations artistiques depuis 2001, et son travail l’amène à explorer les relations croisées entre le son, l’image et le mouvement. Après avoir obtenu un baccalauréat en danse contemporaine de l’ASAB (2000) et une maitrise interdisciplinaire en théâtre et arts vivants de “la Universidad Nacional de Colombia” (2009), il fait partie de groupes de recherche interdisciplinaire avec les quels à développe plusieurs expériences et ateliers autour des arts vivants. Eduardo a par ailleurs fait partie du corps professoral du programme d’arts scéniques et de la maîtrise en études des arts de “la Universidad Distrital, Facultad de Artes ASAB” de Bogota depuis l’année 2002. Il y a enseigné l’entraînement et la danse pour acteurs/danseurs, et l’ateliers “arts pour le sentir” et « Poétique corporelle ».
Installé à Montréal depuis l’été 2012, il est engagé à temps plein au doctorat en études et pratiques des arts à l’UQAM. Son projet doctoral porte sur la poétique corporelle et le monde du sensible. À travers ces recherches, Eduardo tente de comprendre comment l’expérimentation sensorielle consciente, en particulier le concept, et la expérience haptique permettent de développer une approche pédagogique et une méthode ancrée de création chorégraphique interdisciplinaire. Parallèlement, Eduardo continue activement son travail de création, de recherche, et d’enseignement depuis l’année 2014, notamment au département de danse de l’UQAM et l'École de danse de Quebec.
Source : Regroupement québécois de la danse (RQD)
Crédits photo : Gigiola Caceres