Entrevue avec Lina Cruz sur Collage, sa création originale pour la cohorte de 3e année | Prisme 2025
5 décembre 2025
Entrevue avec Lina Cruz, artiste en danse et chorégraphe de renom qui signe la création originale Collage pour la cohorte finissante en vue du spectacle de mi-saison Prisme de la Formation supérieure de L’EDQ.
L'interprète et chorégraphe montréalaise Lina Cruz a été invité à L'EDQ à la session d'automne 2025 afin de créer une pièce originale pour les Finissant·es 2026 à la Formation supérieure en danse contemporaine dans le cadre du spectacle de mi-saison Prisme. Nous avons profité de son passage à l'École pour en apprendre plus sur ses intentions et le bagage derrière sa pièce originale ainsi que sur le processus de création et sa rencontre pédagogique avec ces artistes en danse de demain. Découvrez ses réponses dans cette entrevue généreusement accordée par Lina et ayez un avant-goût de ce qui vous attend dans Collage, création originale qui sera présentée au public les 11, 12 et 13 décembre prochains!
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Vous êtes une artiste en danse canadienne d’origine colombienne, ayant une carrière d’interprète et de chorégraphe très riche et variée sur la scène nationale et internationale. De quelle manière est-ce que cette expérience, ce « bagage » riche influence-t-il votre danse ou inspire-t-elle les pièces que vous créez?
J'ai quitté la Colombie à 16 ans, toute ma démarche artistique s'est donc développée à partir de cet âge en Espagne, parfois à New York et maintenant ici [au Québec].
J’ai toujours cherché à privilégier un sens de liberté dans la création, tant dans celle des autres que dans la mienne, c’est l’une des raisons pour lesquelles je suis venue m’installer à Montréal où le milieu artistique [...] cultive précisément une grande liberté artistique. Cet aspect de la culture artistique montréalaise m’encourage énormément et me conforte, disons. Donc, finalement, Montréal, le Québec et le Canada prennent la plus grande place dans mon parcours, car ça fait 36 ans que je vis et œuvre ici.
Ceci dit, mon bagage est surtout marqué par une ouverture vers un mélange de diverses techniques. Je suis influencée par la technique classique, même dans son évolution jusqu'à aujourd'hui [...] [grâce aux] approches contemporaines en danse. C’est ce genre de diversité qui m'inspire et qui marque mon travail et mon parcours : j'ai une tendance à chercher une esthétique surréaliste un peu absurde.
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Ce n’est pas votre première fois à collaborer avec L’École de danse de Québec. Comment avez-vous accueilli l’invitation d’Esther Carré à créer une pièce originale pour nos Finissant·es 2026 dans le cadre de Prisme, spectacle de mi-saison?
Je crois que c'est la sixième fois que je crée pour l’École. Je suis vraiment touchée et reconnaissante [de pouvoir créer à nouveau pour les étudiant·es] et de donner des classes techniques aussi parce que c'est quelque chose que j'aime beaucoup. Merci Esther!
- Lors de vos rencontres pédagogiques ou chorégraphiques avec la relève en danse, que trouvez-vous important de transmettre aux artistes professionnel·les de demain?
Je pense que l'être humain est tellement porté à des insécurités personnelles que pour moi, le plus important à transmettre, c'est de limiter ses sentiments d'insécurité le plus possible, car ils peuvent restreindre souvent notre capacité d'investissement, d’écoute, de performance et affecter ainsi notre travail, notre rendement et même notre plaisir [...] dans le travail.
- Parlons maintenant de votre travail de création avec notre cohorte finissante. Quelle est l’intention derrière la pièce et d’où est venue l’inspiration pour son titre Collage?
J’appelle la pièce Collage, car j'ai voulu m'appuyer sur quelques détails, images et fragments de mes chorégraphies, de que j'avais créé auparavant et faire quelques allusions à des concepts déjà touchés. [Ceux-ci créent la fondation d‘une] création tout à fait nouvelle parce qu'il faut faire des enchaînements de ces petites bribes avec les interprètes que je rencontre ici, qui vont répondre [à leur façon] à ce que je propose. [...]
Quant à l'esthétique, [...], c'est surréaliste [...], mais il y a un aspect un peu caricatural de l'être humain en général [aussi]. C'est ce qui m'anime beaucoup et en même temps, c'est touchant : ce n'est pas une caricature pour se moquer de l'être humain, mais au contraire, pour le regarder avec tendresse dans tous ses drames.
Le thème touche à l'idée d'une humanité tendre et absurde qui se promène, qui déambule sur un temps qui semble infini et intemporel, mais qui est en fin de compte dans un territoire restreint où les personnages sont mystérieux, portant justement une tendresse dans la représentation des êtres humains qui déambulent de façon insensée. Il y a de l'humour dans tout ça : c’est une représentation de nous-mêmes, à ma façon un peu caricaturale, disons.
- C'est intriguant! Vous signez plusieurs créations originales interdisciplinaires, fusionnant danse, arts visuels, opéra contemporain et même poésie, sans oublier votre fort intérêt pour les arts martiaux. Est-ce que le public peut s’attendre à retrouver ceci dans la pièce que vous créez pour la cohorte?
Oui, l'art martial a beaucoup influencé ma façon de bouger, même si on ne le voit pas si clairement, mais il y a comme une rapidité dans les mouvements et dans les articulations aussi [qui caractérise mon travail]. [La façon dont] le mouvement voyage à travers le corps, pour moi, ça vient de mon entraînement en karaté. Alors, tout le vocabulaire physique [de mes créations] est décidément influencé tant par les arts martiaux que par la danse classique et les approches contemporaines.
[Ceci dit], ce que je trouve que le public peut s'attendre surtout à découvrir et à célébrer, c'est l'interprétation de ces jeunes professionnel·les [de demain] et leur perception de la pièce. Je pense que c'est vraiment ça qui est important.
- Comment se déroule le processus de création jusqu'à présent?
Ça se passe bien, mais les journées ont été très intenses pour nous tous·tes : moi, les interprètes et Francine [Liboiron] aussi qui m'accompagne dans la répétition. Il y a beaucoup d'informations [à transmettre et à recevoir] en deux semaines et demie, avec beaucoup de détails sur le mouvement, sur les articulations du corps, la présence, etc. Les cues de musique sont très compliquées, mais mon objectif était [justement] de faire une pièce avec tous ces détails [complexes] à apprendre, et les interprètes ont travaillé vraiment fort. Ils·Elles ont une excellente mémoire, vraiment, cela m'a beaucoup impressionnée!
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À propos de la musique… je crois que c’est vous qui la signez avec votre conjoint, Philippe Noireaut, n’est-ce pas?
Oui, tout à fait! Cela fait 34 ans qu'on est ensemble et on travaille ensemble depuis le début. [...] Je lui donne toujours beaucoup de directions pour ce que je cherche en termes d’ambiances sonores pour chaque pièce, et donc, [...] au fil des ans, je me suis impliquée de plus en plus [dans la création musicale], jusqu'au moment [...] où je fais [moi-même] un montage, puis je l’ajuste à la chorégraphie, selon comment les chorégraphies évoluent. De plus, j'ai commencé à participer avec ma voix et avec des bruitages aussi. C'est pourquoi Philippe insiste [pour que je mentionne nous deux dans les crédits musicaux]! - Comment décririez-vous la cohorte en quelques mots?
C'est une petite société, je dirais, avec à peu près la même dynamique de groupe que celle d’une plus grande société. À l'intérieur, on voit [...] des individu·es qui seront, par la suite, dans une quête personnelle, mais c'est impossible de savoir ou de prédire dans quelle direction ils·elles vont continuer, [...] et c'est très touchant [de faire partie de cette étape de leur vie]! [...] Comme je l'ai dit tantôt, elles travaillent très, très fort. Et je trouve aussi que le groupe comme tel est très homogène dans leur approche au travail, [où chacun·e a tout de même] des qualités distinctes, évidemment.
- Si vous deviez donner un conseil aux finissant·es, quel serait-il?
Tout d’abord, je leur souhaite la meilleure des chances! Si je devais leur donner un seul conseil, ça ressemblerait un peu à ce que j'avais dit par rapport à l'insécurité : c'est d’investir le plus possible en soi-même, sans peur, [...] et d’avoir de la sagesse dans la gestion de ses comportements marqués par des sentiments d'insécurité.
C'est aussi très important de se respecter, sans tomber dans l'imperméabilité. C'est très délicat [comme tâche] et c'est plus facile à dire qu’à faire. Mais c'est important d'apprécier les bénéfices de l'endurance, de la discipline ainsi que les bénéfices du plaisir!
Merci Lina pour votre générosité.
L’École de danse de Québec tient à remercier chaleureusement Lina Cruz pour le partage de ses pensées avec le public!
L’EDQ reçoit chaque année plusieurs artistes, chorégraphes et professeur·es invité·es afin d’initier les étudiant·es à divers processus créatifs.
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À propos de Lina Cruz
Originaire de Colombie où elle est née le 21 Mai 1957, c'est à l'âge de 16 ans que Lina Cruz se lance dans la découverte de la danse. Elle reçoit sa formation en danse surtout en Espagne et aux États-Unis (New York), y fréquentant des institutions telles que : Joffrey Ballet School (New York), l'école de ballet Victor Ullate (Madrid), l'école de ballet Luis Fuente (Madrid), l'école de danse Irina Brecher (programme intensif en danse classique, Graham et divers styles de jazz). Elle a également suivi un entraînement de longue durée avec Aurelio Bogado (ex-danseur de la compagnie Les ballets de Marseille, dirigée par Roland Petit) ainsi que des cours à l'école Mudra (école associée au Ballet du XXe siècle de Bruxelles) et des stages avec Hector Zarape, Rui Horta et Julie West, entre autres. Parallèlement à la danse, Lina Cruz a cultivé une passion pour les arts martiaux et s'y est adonnée pendant quelques années jusqu'à l'obtention d'une ceinture brune en karaté Shotokan.
Avant d'arriver à Montréal, Lina Cruz a participé en tant qu'interprète à des projets avec les chorégraphes Carl Paris (ex-soliste de la compagnie Alvin Ailey), Luis Fuente (ex-soliste du Joffrey Ballet), Marco Berriel (ex-soliste chez Béjart), Christopher Fleming (ex-danseur du New York City Ballet) et avec d'autres chorégraphes indépendants en danse moderne et classique. Au début de sa carrière, elle a travaillé avec le Real Ballet de Camara de Madrid et Les Ballets de Luis Ruffo.
Ses premiers essais chorégraphiques ont été présentés en Espagne, en Colombie et en Équateur. Après plusieurs années en Espagne, Lina Cruz se joint au milieu montréalais de la danse en 1989. Parallèlement à sa recherche personnelle en création, elle collabore en tant que chorégraphe avec l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal pour Il Mondo della Luna de Haydn en 2007 et pour Didon et Énée de Purcell en 2005. Elle fait aussi quelques créations pour des spectacles multidisciplinaires, intégrant la danse aux arts visuels, à la poésie, à l'opéra contemporain et à des spectacles de chanson.
En tant que pédagogue, Lina Cruz enseigne au niveau professionnel et préprofessionnel depuis 1983; elle développe une approche personnelle dans l'entraînement en ballet classique, très appréciée par des danseurs de tous les styles.
En tant qu'interprète à Montréal, elle a travaillé pour Martine Michaud et la chorégraphe Silvy Panet-Raymond dans Kâ, spectacle récipiendaire d'un Félix en 1989 (1989-1990), pour la chorégraphe indépendante Jane Mappin (1993-1994) et pour Alain Francoeur (1999). Les metteurs en scène et artisans du théâtre montréalais Gilles Maheu, Johanne Madore, Dulcinée Langfelder et Guy Beausoleil ont également eu recours à ses services.
Voyez Collage prendre vie sur scène
Collage, créée par James Viveiros pour la cohorte de 3e année à la Formation supérieure en danse contemporaine, sera présentée sur la scène dans le Studio Desjardins de la Maison pour la danse de Québec dans le cadre du spectacle de mi-saison Prisme de L’École de danse de Québec les 11, 12 et 13 décembre prochains. Par la suite, le spectacle sera également disponible en ligne sous forme de webdiffusion en différé du 19 décembre 2025 au 8 janvier 2026.