La PUD : “où j’ai appris à rester calme, même si le rideau me tombe sur la tête”
25 février 2020
Le premier février dernier, débarquaient à Québec, 18 étudiants du Pont supérieur de Nantes qui venaient rejoindre nos 6 étudiants-danseurs de la Formation supérieure pour prendre part au projet CONNEXIONS Petite Université de la Danse (PUD).
La PUD, c’est quoi déjà ?
Il s’agit d’un échange, initié par le chorégraphe Yvann Alexandre, entre le Québec, la France et depuis peu la Tunisie visant la rencontre des individus à travers un laboratoire vivant de culture chorégraphique. Intergénérationnel, multiculturel, audacieux, ce projet se tisse tout au long de la saison au fil des rencontres et des résidences où se construit la chorégraphie partagée intitulée RE/Sources. Au terme de plusieurs résidences (dont celle qui vient de se terminer à Québec), tous les participants vont se rejoindre en avril, en France, pour faire oeuvre ensemble. 90 danseurs qui vont, à chaque présentation, se réinventer, et livrer au public une version unique de la pièce, recomposée en direct sur scène.
Une pièce recomposée en direct, ça veut dire quoi ?
La PUD, c’est une prise de risque de chaque instant. Lors de la résidence de Québec, il y avait en tout 27 segments chorégraphiques, 27 partitions, dont certaines sont apprises/proposées tantôt par tous les danseurs, tantôt par les Français ou les Québécois. Avant chaque filage (enchaînement, comme on le dit au Québec), les danseurs découvrent, en même temps que le public, le nom des partitions à offrir, l’ordre dans lequel les danser ainsi que quelques consignes pouvant brouiller les cartes : le chorégraphe peut demander de jouer une partition à l’envers, peut demander à un danseur de s’ajouter à une partition qu’il ne connaît pas, ou encore de changer le tempo de telle partition. Même les musiques peuvent changer. Rien n’est figé. Surtout, tout est possible et c’est aux interprètes de trouver, collectivement, les chemins, les liens, les manières de nouer une à une les partitions le plus justement possible. Ça semble un saut dans le vide. Pour les interprètes, c’est avant tout l’histoire d’individus qui apprennent à s’abandonner, à se faire confiance, à se découvrir en tant que groupe qui s’appuie les uns aux autres.
Après 7 jours de travail intense, à se rencontrer, connecter, expérimenter des processus de création, s’approprier le matériel chorégraphique de RE/Source(s), à 1 journée de la présentation devant le public, L’EDQ a rencontré 4 des participants de la PUD : Victoria et Maya, québécoises ; Stéphane et Clio, français(e)s.
On en est au jour 7, à une journée de la représentation publique, comment vous sentez-vous
S : Un peu fatigué. Mais moins stressé que quand je fais des restitutions ailleurs. On travaille beaucoup sur le groupe, de sorte que même si je ne me souviens plus de toutes les partitions, je sais que je peux m’appuyer sur les autres danseurs. Ce sera très intéressant de passer par cette présentation parce qu’on a construit beaucoup de choses, on a établi plusieurs connexions ensemble, qu’il faudra sans doute délier plus tard afin de pouvoir accueillir les autres participants de la PUD qu’on va rencontrer une fois en France.
M : Moins stressée aussi parce que c’est le genre d’exercice où le public disparaît. On est tellement dans le cognitif, tellement concentrés, on est en train de construire l’oeuvre sur la scène. Pas le temps de se préoccuper du spectateur !
V : On est prêts. On n’a pas le choix de l’être ! Après, on sait que demain ce sera différent de tout ce qu’on a fait jusqu’ici, on va vivre cet instant-là et on sait qu’il ne se reproduira plus, c’est ça qui est spécial.
S : Il y aurasans doute quelque chose de mélancolique...
Grand éclat de rire collectif.
Pouvez-vous me parler de ce que vous allez retenir de cette expérience ?
C : Pour nous qui étudions afin de devenir professeurs de danse, c’est énorme. On apprend avec Yvann la transmission et tout ce que cet acte de transmettre soustend. Il donne beaucoup d’outils qu’on pourra réutiliser par ailleurs. D’ailleurs, on a vécu une expérience concrète avec les élèves du programme Danse-Études lorsqu’on leur a transmis notre matériel et qu’on a été les chorégraphes de leur pièce. Ça a été marquant comme expérience, grandiose.
M : Je retiens que j’ai pu atteindre, dans mon corps, un mélange improbable : à la fois un grand laisser-aller et une grande précision du geste. On est habitués d’évoluer dans des contextes où les choses sont prédéterminées : l’enchaînement chorégraphique, la musique, etc. Ici, c’est l’inverse : on ne connaît pas l’ordre de la pièce, on te demande d’improviser ou de complètement ré-inventer des sections, dès que tu es confortable avec une musique, on te la change. Et toi, tu arrives sur la scène, et tu dois avoir l’air d’être pertinent et de savoir ce que tu fais. On n’a pas le choix de se dire : “ok, j’y vais à fond et j’assume, parce que si je n’assume pas, les spectateurs n’achèteront pas ce que je leur offre.” En fait, Yvann, il te prépare à devenir interprète, c’est-à-dire, être prêt à tout, assurer quoiqu’il arrive, même si le rideau te tombe sur la tête ! La clé : être investi, débrouillard et rapide à réagir. Faire des choix artistiques et tenir compte du groupe.
Est-ce qu'il y a des aspects qui ont été confrontants ?
S : Être dehors par -25 degrés sans manteau au bord du fleuve St-Laurent et avoir l’air investis, détendus. Tout ça pour prendre une photo conceptuelle !
V : Devoir s’adapter à un style chorégraphique qui ne me corrrespond pas tellement et qui est hyper précis dans son esthétique. J’ai eu du mal à me retrouver.
En plus, il y avait le choc culturel relatif à l’enseignement (on n’enseigne pas en France comme au Québec). Et on ajoute à cela le concept de la PUD qui est très déstabilisant : tout est pensé pour qu’on ne puisse pas se reposer sur notre technique, ni sur nos repères, ni sur ce qui fonctionne d’habitude. Tout est fait pour qu’on sorte de nos zones de confort.
M : Se confronter à la précision et la rigueur d’Yvann. Son esthétique, c’est comme apprendre un nouveau langage : un langage des signes. Chaque mouvement est un mot, et il faut que tu essaies de relier tous les mots d’Yvann ensemble, puis il s’attend à ce que tu fasses des phrases, puis un paragraphe complet, puis un monologue, un roman. Un grand roman !
Est-ce qu'il y a quelque chose qui vous a étonné de vous-même ?
C : Je me suis aperçu que je me mettais des limites toute seule. Avec Yvann il n’y aucune limite qui ne tienne. Il nous fait tellement confiance et c’est à nous de nous faire confiance aussi.
M : Je me suis surprise de mon calme. J’ai été tellement stressée et angoissée en amont de cette semaine. On veut bien faire, très bien faire. On a des standards élevés. Le travail chorégraphique avec Yvann est très dur. La seule manière de se rendre au bout, c’est de se faire confiance. Quand j’ai réalisé ça, ça a libéré un truc et j’ai trouvé une certaine zenitude.
V : Je ne m’attendais pas à accueillir une française chez moi. Ça me sort de ma zone de confort que de recevoir à la maison, mais ça a été une belle surprise, un cadeau (clin d’oeil à Clio, qui est accueillie chez Victoria). Puis aussi, l’aspect d’intégrer un nouveau groupe me confrontait. Mais on peut dire qu’il y eu match.
Comment voyez-vous la suite, vos retrouvailles en France ?
Tous : On a très hâte de se retrouver en avril. On va faire une tournée ensemble, ce sera plus fatiguant encore, on va souvent bouger, changer de théâtre, rencontrer de nouveaux participants. Ce sera plus exigeant du point de vue de l’adaptation, mais ce sera une sacrée expérience de danser à 90 sur une scène, ce sera galvanisant !
Merci aux partenaires !
L’École de danse de Québec a été heureuse d’accueillir les étudiants du Pont Supérieur de Nantes ainsi que son directeur Maurice Courchay et les remercie chaleureusement pour leur venue et leur présence généreuse. L'EDQ remercie également Stéphane, Clio, Maya et Victoria pour le temps précieux accordé et la richesse de leur propos.
EN FRANCE
Cie Yvann Alexandre, Nantes
Le Pont supérieur, Nantes
Le Théâtre Francine Vasse, Nantes
Centre Chorégraphique National de Nantes, Nantes
Micadanses, Paris
Le Centre Culturel de La Loge, Beaupréau-en-Mauges
AU QUÉBEC
Bureau de l’international et de l’entreprenariat du Cégep de Sainte-Foy